L’investisseur d’un côté, le travailleur de l’autre, c’est fini. Les réflexions vont bon train pour imaginer l’entreprise de demain. La redéfinition des rôles des différentes parties prenantes (‘’stacke holders’’) est en cours. Ceci n’advient pas sous l’effet du hasard : les barbares de la chaîne de valeur, la génération Y, les ratés qu’entraîne la vie dans les grandes organisations et surtout, l’irruption des vagues technologiques forcent à la remise en cause et poussent les uns et les autres à rechercher les solutions pour maintenir et développer l’existant au travers d’un mot qui vire à l’utopie : l’innovation.

De l’actionnaire imperator à la démocratie d’entreprise

Le ton est donné en 1970 par Milton FRIEDMAN, sur fond de lutte séculaire entre marxisme et capitalisme : tous les salariés et le premier d’entre eux, leur PDG, sont au service de l’actionnaire-investisseur et doivent exécuter ses visions et volontés1. Poussé à son point extrême, cette vision a entraîné une financiarisation excessive de la société, qui s’est répandue jusqu’à l’évaluation individualisée de la contribution financière de chaque collaborateur. Du coup, aujourd’hui, les managers sont à la peine entre performance ‘’collective’’ et évaluation individuelle des salariés. Au surplus, notamment pour les groupes côtés, le décalage entre la liquidité quasi immédiate des titres détenus par l’actionnaire et la dépendance affective et financière des simples collaborateurs envers leur entreprise créé de facto un différentiel de risque en défaveur des seconds.

Les pistes d’action sont désormais connues : elles passent par l’entrée en force de la démocratie d’entreprise, déjà bien expérimentée dans le modèle rhénan, mais aussi par une redéfinition du statut du dirigeant ainsi que par une redéfinition des droits et devoirs des investisseurs, en rappelant au passage que les collaborateurs ne peuvent pas être inscrits à l’actif du bilan2, car depuis l’abolition de l’esclavage, la propriété d’un sujet n’est plus permise, quand celle d’un objet reste possible.

De la démocratie d’entreprise à l’autonomie en réseau

Cette redéfinition pousse certaines entreprises, à l’image de l’américain ZAPPOS3 à une transformation radicale. Après une phase expérimentale de 2 années, qui a vu coexister 2 modes d’organisation, l’un hiérarchique traditionnel, l’autre sans manager, son fondateur et PDG Tony Hsieh, a entériné au 2ème trimestre 2015 la suppression du 1er ; dorénavant, les salariés contribuent à des ‘’projets’’ fondés sur leur affinités et leurs compétences, la responsabilité est répartie entre tous et chaque groupe de travail est évalué par les autres, à l’occasion du rendu périodique des résultats.

D’aucuns sont perdus, certains collaborateurs réclamant une feuille de route précise et des supérieurs pour les guider, les managers cherchant de leur côté à redéfinir les fondements de leur autorité. Mais là comme ailleurs, le pli est pris : l’entreprise est un lieu d’accomplissement personnel et de création collective.

Un cran plus loin, certains économistes proposent ‘’d’organiser la rébellion !’’4

Après la suppression des hiérarchies pesantes et bureaucratiques, le recours massif aux organisations horizontales et en réseau, voici le temps du talent, celui de la capacité à détecter les ‘’signaux faibles’’, à laisser s’exprimer les dimensions vitales de sa personnalité qui doit prendre le pas sur une autocensure parfois servile.

De nouvelles définitions de postes laissent rêveurs : ‘’l’expert du chaos organisé’’, le ‘’désorganisateur d’entreprise’’ le ‘’thérapeute en digital détox’’ ; le temps dira quelles nouvelles fonctions ont surnagé dans les tempêtes organisationnelles et technologiques…

Derrière ces excès, la voie est néanmoins ouverte : les entreprises laissent de plus en plus la place à la créativité et à l’inventivité de leurs salariés.5

Les salariés-entrepreneurs-créatifs sont les nouvelles pépites

En Inde, le PDG DE HCL TECHNOLOGIES, Vineet NAYAR6  a mis en œuvre dans cette entreprise de 79.000 personnes un mode de management qui inverse la pyramide : les managers, comme lui-même, sont évalués par les salariés et les résultats sont disponibles sur le web. Ils sont en prise directe sur les clients, se voient déléguer des responsabilités et confier des défis qui les galvanisent. En matière d’innovation, une plateforme interne sur laquelle déposer des idées innovantes est disponible ; les idées sont évaluées par les collègues et les 20 meilleures sont récompensées. En externe, des concours d’innovation en management ont été lancés.

Aux Etats Unis, le PDG de CISCO, John CHAMBERS, précise que le mode d’organisation de son groupe est devenu moins hiérarchique et plus collaboratif ; il s’agit de combiner innovation et rapidité. Le dernier routeur a été conçu en mode ‘’startup’’ en 12-15 mois par une équipe de 250 personnes, là où il fallait auparavant réunir 2000 personnes pendant 2 ans ! On a supprimé les silos pour travailler sur des solutions précise t’il, et il ajoute : le monde est plus rapide et plus complexe, l’organisation doit être bâtie pour favoriser la collaboration, pas le commandement et le contrôle comme hier.

En France, aussi bien le Club Med et son PDG, Henri Giscard d’Estaing, que Humanis reconnaissent que l’organisation crée elle-même des complexités inutiles contre lesquelles on lutte en réorganisant et en décentralisant l’action ou en appelant des équipes transverses à réfléchir sur des thématiques telles que la relation client, le développement durable, le management ….pour élaborer des offres de service ‘’différenciantes’’, réduire les coûts ou tirer parti du numérique.

Ainsi, les entreprises expérimentent de nouvelles organisations reposant plus sur la confiance, l’implication et la décentralisation que sur le contrôle, la défiance et le confinement, en ayant en ligne de mire une amélioration de l’impact sur la planète, le consommateur, le collaborateur.

Reste à définir un mode d’organisation adapté à chaque cas et à apporter l’environnement nécessaire à l’émergence de projets porteurs de sens et de valeur ajoutée.



Emmanuel MACRON a récemment tenu, un temps, le même discours à propos du PDG de Renault….
Comme l’a esquissé M. E.-A. SELLIERE, interviewé il y a quelques années sur une radio nationale, reprenant ainsi le rêve du héros de Gogol dans son roman ‘’les Ames Mortes’’, le célèbre Tchithikov, qui cherchait à acquérir des serfs morts pour faire un beau mariage.
Site d’e commerce de chaussures propriété d’AMAZON, 1500 personnes, coté en Bourse et réalisant un CA de 1 milliard de $.
La rébellion positive Isabelle METENIER et Hamid AGUINI (Albin Michel) - La société de connivence Jean Marc DANIEL (Odile Jacob).
SIEMENS en octobre 2015, DOW CHEMICAL avant lui ont annoncé la création de fonds de capital risque interne pour financer les idées – sélectionnées-de leurs salariés.
Les employés d’abord, le client ensuite Vineet NAYAR (Editions Diateino).
Frédéric Tavera 04 January 2016